Pile ou Face
Il m’arrive de penser que je suis le mal. Que je suis perverse, que je ne mérite pas d'être aimée comme je suis. Je suis constamment en train de cacher qui je suis, de me métamorphoser en fonction de mon entourage temporaire. Je ne suis pas pourtant haie. On m'aime bien, je suis même populaire parfois. Voilà, les deux dernières phrases montrent à quelle point mes premiers constats sont corrects, dès que j'ai avoué mon doute, j'ai immédiatement voulu me justifier, équilibrer, tempérer cette révélation parce que j'ai eu peur de perdre votre sympathie.
Je ne suis pas moche, je crois même que je suis belle, je suis intelligente, du moins académiquement, je n’ai pas froid aux yeux et il m’arrive d’aborder des étrangers et d’en faire des amis dans la seconde. Je manque parfois de répartie, mais qui est parfait ? D’ailleurs, ça ne m’arrive que quand je doute. Quand je me sens inférieure à la personne d’en face. Inférieure pour moi veux dire qu’il y ait une probabilité minimale que la personne connaisse un peu plus de choses que moi, soit plus proche d’un homme qui m’attire, ait les cheveux plus brillants, le duvet plus discret, un grain de beauté sur le visage qui soit plus visible. En gros, j’ai besoin d’être en contrôle tout le temps, et que je suis jalouse d’un rien.
Je crains de ne pas être aimée pour être intelligente ou bête, pour être moche ou excessivement attirante, pour être sociable ou silencieuse, pour porter des t-shirts grands et délavés ou une robe Peppa Gallo. Et au final, j’ai développé toutes ces caractéristiques contradictoires qui font que, au jour d’aujourd’hui, je ne sais plus qui je suis. Je suis socialement polyvalente, ce qui fait que je peux m’intégrer à des milieux différents, mais que je ne représente aucun intérêt particulier pour aucune catégorie de personne.
Quand je suis la petite fille qui a besoin de protection et de réconfort, on voit en moi la femme forte capable de tout. Quand je suis sensée être forte et tenir tête, je fonds en larmes. Quand j’étais au Maroc dans une petite ville pourrie, je rêvais de Paris, du jazz et du théâtre. Maintenant que je suis à Paris, dans un appart avec vue sur l’Eglise Saint James et la Tour Eiffel, la Harira me manque. Je rêvais de liberté, et maintenant j’ai presque envie de tout oublier de ce que j’ai vécu de cette liberté, et repartir à zéro sous la tutelle de mon père. Je peux être femme, belle et éloquente, ou bien vierge, bègue et maladroite, parfois en même temps. Je peux parler de détails sexuels en regardant droit dans les yeux, et je peux rougir d’un compliment qui m’est à peine destiné.
Que puis-je bien faire de ma vie ? Evidemment, quelque chose de beau et destructeur, qui émerveille ou dégoûte le monde et me consomme. Continuer à vivre est un effort équivalent à m’enlever mentalement des morceaux de peau avec les ongles, tous les matins. Et je ne sais pas si c’est plus rassurant ou plus flippant que je n’arrive jamais à faire pousser mes ongles, je les ronge.
Ce qui n’arrange rien, c’est que je veux un peu bonheur aussi. Du bonheur à être qui je suis, double et paradoxale, ou bien juste assez pour lancer la pièce en l’air, et m’arrêter sur une face de la médaille... mais laquelle ?